LE TEMPS DES REVES, BASE DE LA CULTURE ABORIGENE D'AUSTRALIE

Le temps du rêve (dreaming ou dream time en anglais) est au cœur de la culture aborigène. C’est une croyance relative à la création du monde, de l’univers, mais plus largement qui détermine les relations entre les différents êtres vivants et choses qui peuplent ce monde, de façon à définir un cadre relationnel précis pour une meilleure harmonie et un bon équilibre entre tous ces éléments.

Les histoires du temps des rêves, Jukurrpa dans le désert central australien ou Karuwarri dans le nord des terres d’Arnhem, sont racontées par les différents gardiens spirituels aux générations suivantes sous formes de mythes, de chants, de peintures ou de danses.

Ainsi un certain nombre d’êtres fondateurs ont sillonné le monde, créant et modelant le paysage au fur et à mesure de leurs déplacements et laissant derrière eux un lit de rivière, une colline, un point d’eau (lieu hautement secret et vital dans cette partie du monde), des rochers, etc… Aujourd’hui leurs périples sont encore en mémoire grâce aux fameuses pistes chantées qui peuvent relier plusieurs tribus entre elles.  Ces pistes forment une sorte de cartographie à la fois géographique et spirituelle et impliquent des liens sacrés puissants entre les différentes communautés qu’elles traversent. Ces êtres ancestraux et éternels sont par exemple, le rêve Serpent Arc en Ciel, Homme Kangourou, Peuple Nuage, Ignames, Frère vent, etc…

Mais le temps des rêves n’est pas uniquement le récit de la création, il continue d’exister au quotidien car ces esprits s’attardent encore dans les sites terrestres tout au long des pistes chantées. De ce fait cela devient un lien permanent entre le passé et le présent, le spirituel et le matériel. Tout est étroitement lié et interconnecté, formant ainsi la charpente complexe d’une culture hautement spirituelle.

Les symboles aborigènes

Les oeuvres des aborigènes australiens montrent le rapport qu’ils ont avec le monde. Ce qu’ils produisent est l’extension d’une manière de percevoir et d’assoir sur un support des relations mentales. Leurs peintures sont parfois difficiles à interpréter pour ceux qui ne sont pas familiers à leurs symboles. Avant d’essayer de les comprendre, d’interpréter, il est judicieux de connaitre le thème de l’oeuvre puisque leurs significations ne sont pas figées et qu’elles peuvent varier selon les artistes.

« Hérités d’une tradition millénaire, ces motifs symbolisent selon des codes très précis la relation des hommes à des lieux, des ancêtres totémiques, des plantes, des animaux et des phénomènes comme la pluie ou le feu, que les Aborigènes du désert appellent Jukurrpa, Dreaming, soit des principes qui animent pour l’éternité la mémoire de la terre et la reproduction de tout ce qui y vit. » indique Barbara Glowczewski dans un article  portant sur deux artistes aborigènes Warlpiri.

Tout d’abord, il faut regarder ces toiles comme si cela était des vues aériennes qui représentent des traces d’hommes, d’animaux, d’oiseaux par exemple. Tout interagit dans l’univers entre les hommes, les règnes animal et végétal, le monde souterrain et le ciel ; tout comme les symboles qui semblent souvent connectés entre eux.

De plus, généralement les points cardinaux sont indiqués selon l’orientation des symboles. C’est une question de survie, les aborigènes australiens devaient pouvoir s’orienter dans le désert et trouver de quoi subsister.

La représentation des hommes est mentionnée par des objets qui leurs sont associés comme le boomerang (s’il est bien lancé, il revient vers celui qui l’a lancé et cela faisait l’objet d’exercices d’adresse, de jeux), à la lance, au propulseur (le woomera équipement destiné à propulsé comme son nom l’indique et de chasser ou cueillir). Les femmes quant à elles, sont associées au coolaman (corbeille à cueillette), au bâton à creuser et à la pierre à moudre. Les Aborigènes peuvent être représentés également par la lettre U qui représente un personnage assis vu de haut.

Alors que pour les animaux, ce sont leurs empreintes sur le sol qui sont représentées. Généralement elles appartiennent à la faune nocturne d’Australie et ont une signification sacrée, ce sont les traces des êtres mythiques. Le soleil, la lune, la voie lactée, les planètes représentent les êtres mythiques qui ont terminé leur parcours dans le ciel et les plantes du désert représentées ont des vertus médicinales, ce sont souvent des êtres mythiques associés aux rituels féminins.

Les territoires

L’art aborigène du Désert central et occidental d’Australie

C’est au cœur du désert australien, à Papunya, qu’en 1971 la peinture aborigène contemporaine est née sous l’influence de l’instituteur anglosaxon Geoffrey Bardon qui proposa à ses élèves, bientôt rejoints par des initiés, de reproduire les motifs des dessins rituels réalisés à l’occasion des cérémonies en l’honneur de la fourmi à miel.

L’art des Aborigènes d’Australie est le dernier à prendre sa place au panthéon des grandes traditions artistiques mondialement reconnues. Cet art, héritier d’une tradition immémoriale qui s’est transmise d’une manière continue pendant cinquante millénaires au moins, est toutefois resté relativement inconnu jusqu’à la deuxième moitié du XX e siècle. Robert Hughes, critique et écrivain, dit de l’art aborigène qu’il est «le dernier grand mouvement artistique pictural du XX e siècle». Aujourd’hui cela ne fait plus aucun doute.

Pour qui parcourt un article de presse, l’art aborigène a une résonance exotique. C’est un art découlant directement d’une tradition millénaire, un art basé sur le symbolisme, trait d’union entre un monde, celui du sacré, du Rêve (à ne pas confondre avec notre notion du rêve) et le nôtre.

Les scientifiques rêvent d’une théorie unifiée pour la connaissance corpusculaire, de l’infiniment petit, du microcosme et de l’univers du macrocosme. Les peintures Aborigènes font penser à des coupes cellulaires, de végétaux ou de minéraux et nous parlent surtout de distances. Les Aborigènes ont trouvé leur loi qui unifie le vivant, la nature, la terre, les éléments, les individus, et le sacré. Cette loi c’est le Rêve, Tjukurrpa, exprimée au travers de leurs peintures.

3 Au départ, le peintre est donc un interlocuteur qui diffuse et sauvegarde une culture ayant laissé peu de signes visibles et durables. Ceci s’explique par la faible concentration de la population sur un immense territoire et d’une technique sommaire, les Aborigènes ayant vécu à l’âge de la pierre. Les peintres aborigènes revendiquent ainsi le lien avec la terre, l’appartenance à une région, à des sites. «Mon» pays disent-ils pour parler des territoires dont ils sont les gardiens et appartenant au Rêve dont ils sont les dépositaires.

Ces notions sont certes importantes. Mais résumer l’art aborigène à l’illustration de mythes, à une copie de motifs anciens serait une grave erreur. L’art aborigène est avant tout un mouvement pictural, avec ses périodes et ses artistes emblématiques.

Si cet art présente une identité culturelle assez homogène, il s’exprime toutefois dans différentes variantes. Variantes régionales d’abord puis celles qui ont pour origine le dynamisme créatif de grands peintres.

La technique employée par les peintres aborigènes révèlent les liens profonds qui les unissent à la terre. Le fond de peinture est en général ocre rouge ou noir, il représente le sol ou le sous-sol du désert. Ce fond est indispensable à la vision du peintre, il est le substrat nourricier de sa vie et de ses rêves. Au-dessus, des motifs aux couleurs terreuses sont peints en formes larges. Dans cette phase, les gestes du peintres sont lents et appliqués. Les signes ainsi placés ont un caractère immuable parfaitement adapté au récit mythologique. L’achèvement du travail consiste à délimiter puis remplir les formes avec une multitude de points. Cette technique pointilliste est à la fois une transposition picturale des moyens utilisés dans les fresques anciennes et une manière de cacher certains motifs secrets. D’autre part, l’agglomération de petits points rappelle le duvet végétal ou animal des immenses fresques exécutées sur le sol pour les cérémonies.

L’Australie aborigène embrasse plusieurs traditions artistiques distinctes établies de longue date. Chaque idiome esthétique possède son propre vocabulaire de motifs et de symboles. L’interprétation des dessins et des images de cet art varie selon les connaissances rituelles de l’artiste et de l’observateur. Ainsi, un grand initié aura accès, dans une image, à un large choix de significations. Ils distinguent eux-mêmes deux catégories générales d’explication: l’explication «confidentielle», réservée aux initiés et l’explication «publique» accessible à tous. Dans les cérémonies, la peinture et les dessins ont pour rôle de transfigurer les corps et les objets en les rendant éclatants.

Si la France a fait le choix de montrer l’art aborigène dans des musées «ethnologiques», parmi des objets d’art tribal (à Paris au Musée du Quai Branly mais aussi à Lyon ou plus récemment à Marseille), les pays anglo-saxons ont choisi de les faire figurer dans des musées d’art contemporain. La complexité de l’art aborigène rend pourtant ces choix opposés tout à fait rationnels. La peinture aborigène doit son succès au choc esthétique qu’elle procure, à la beauté, à la force et à la magie qui se dégagent de ces toiles. Dans l’art contemporain occidental, le discours semble parfois l’emporter sur l’impact visuel et émotif de l’œuvre. Ici tout est réuni. Construction solide, vigueur, couleurs et magie s’ajoutent à l’histoire de ce peuple et à la dimension sacrée du Rêve.